Armand Marsick

(1877-1959)

©archives Jacques MARSICK

 

Par Jacques Marsick. 26 juillet 1994

Noël 1956, ses petits enfants ont écrit à Armand Marsick pour l’inviter à écrire ses mémoires ; il va s’exécuter, très ému par cette demande. Hélas, il s’interrompra très vite, tant les souvenirs de sa vie lui deviennent douloureux à raviver.

Dès la préface, il est impitoyable avec lui-même et il répond à ses petits enfants d’une étrange manière. Voici ce qu’il leur confie :

" Quand vous aurez lu le travail que j’entreprends de tout cœur et uniquement pour vous {…}, je le répète – il vous sera permis de vous demander comment un homme qui dès son enfance à donné des preuves indubitables d’organisation musicale a fait une aussi piètre carrière, car ne vous laissez pas subjuguer par ce que vous entendrez dire autour de vous des succès de votre grand-père : ce ne sont que des succès de petit maître, succès locaux qui se sont répétés dans les différentes villes où ma vie de nomade m’a amené à résider, mais qui ne m’ont point permis d’atteindre une vraie réputation ! Voilà pourquoi, mes chers petits-enfants, je n’ai poussé aucun de vous à entrer dans la carrière musicale, carrière difficile, pleine d’embûches, de mirages, et qui met l’artiste en butte, à une concurrence redoutable que les autres carrières – à mon avis du moins- ne connaissent pas, car cette concurrence s’étend jusqu’aux morts, Ô pauvres compositeurs… "

 

Cliquer pour agrandir

ã archives Jacques MARSICK

Qui donc est ce " petit maître " ? Quels ont été ses " succès locaux " ? Nous ne prétendons pas qu’il égala les grands noms de l’histoire de la musique, mais cette carrière fut riche d’expériences multiples. Excellent violoniste, il sera vivement encouragé par son oncle Martin-Pierre Marsick à composer. Il se consacrera beaucoup ensuite à la pédagogie de l’enseignement musical. Enfin il sera la cheville ouvrière de la renaissance ou de la naissance de nombreux orchestres en tant que chef. Bref une belle carrière …

Alors pourquoi ce jugement amer ? C’est le compositeur qui est amer. Victime d’une mode ? Sans doute. Ses pages les plus intéressantes sont écrites avant 1914. Il appartient à l’école frankiste. Or, à la même période Stravinsky s’impose comme génie musical et son écriture bouleverse, innove. Et Armand Marsick aura beau prétendre que le même Stravinsky est  " incapable d’écrire un accord parfait (sic) ", C’est Stravinsky que l’ont va jouer ainsi qu’Hindemith, Ravel, Boulez etc …

Il n’est pas le seul à passer à la trappe de l’oubli… il faudra du temps pour qu’enfin on s’aperçoive que tous ces musiciens qui firent l’école française après 1870, ont écrit de très belles pages et méritent de sortir de l’anonymat où on les avait quasi enfermés.

Ce préambule nous a paru nécessaire pour présenter la biographie d’Armand Marsick qui naît le 20 septembre 1877 à Liège en Belgique. Sa naissance est tout un événement. Ses parents Louis et Marie ont déjà quatre filles. Cette naissance les comble … d’autant plus que deux autres filles naîtront ensuite !

 


La famille est liégoise depuis le début du 18ème siècle. Elle a ses origines en Bohême sans doute. C'est un certain Johannes MARSCHICK qui épouse en 1707 une jeune Liégoise, Aelid Dodémont et se fixe ainsi dans la principauté Liégoise.

Louis Marsick (1843-1901), père d'Armand, et Martin Pierre Marsick ont ...seize frères et soeurs, nés de deux lits. Leur père Pierre-Joseph (1819-1888) était lampiste mais aussi bon violoniste.

Louis et Martin-Pierre seront donc tous deux musiciens, mais Louis se sacrifiera pour permettre à Martin-Pierre de faire sa carrière. Pourtant, il était aussi doué que Martin-Pierre. Médaille de vermeil du concours supérieur de violon du conservatoire de Liège en 1861, il est aussi titulaire d'un premier prix de violoncelle. Sa carrière sera liégoise. Il occupera le pupitre de 1er Violon à l'opéra Royal de Liège pendant 47 ans où il avait débuté comme caisse roulante à 11 ans ; pendant ce temps, Martin-Pierre mènera une carrière exceptionnelle de virtuose et de professeur au Conservatoire de Paris où il formera Jacques Thibaud, Carl Flesh, Georges Enesco entre autres...

Armand vit donc dans un environnement très particulier... d'autant que sa mère, avant son mariage, était costumière à l'Opéra Royal de Liège.

A cinq ans son père lui offre son premier violon (un quart !) et un archet... aussitôt accrochés au mur de la salle d'étude. Ce n'est qu'à sept ans qu'ils furent décrochés après deux ans de solfège et une première leçon de violon avec son père.

Dès lors ses progrès sont rapides. A dix ans, il entre dans la classe de Desiré Heynberg au Conservatoire Royal de Liège. Il étudie aussi le piano avec J. Lebert et la musique de chambre avec R. Massart ainsi que ses premières leçons de composition avec Sylvain Dupuis. En 1897, il obtient à dix-neuf ans la médaille de vermeil du concours supérieur de violon, la même que celle obtenue par son père.

©archives Jacques MARSICK

 

Mais Armand compose dès neuf ou dix ans. Il rapporte dans ses mémoires que dès l'école primaire, il fut surpris par son instituteur en train de composer... alors qu'il a été mis à la porte de la classe. A la même époque, il compose une romance pour violon et soprano... mais personne ne croit qu'il en est l'auteur. Il en est très mortifié : "Devrait-on jamais faire de pareilles reflexions devant un enfant ?, écrivit-il, Devrait-on jamais mettre en doute son travail ? (...) c'est verser la première goutte de pessimisme dans le coeur d'un enfant."

Armand est foncièrement honnête et droit. Incapable de calculs. Incorruptible, c'est un travailleur infatigable. Il est aussi très attaché à sa famille et respecte profondément ses parents. Dès qu'il sait écrire, il leur adresse chaque année des voeux charmants. Plus tard, alors qu'il est à Paris, il écrit des dizaines de cartes à sa soeur Berthe. Il rentre à Liège chaque année, d'où qu'il soit, pour embrasser ses soeurs, oncles, tantes, cousins, cousines...

Et, à la fin de sa vie, à partir de 1943, il sera le plus merveilleux des grands-pères, doué d'une patience inouïe, lui qui n'en avait guère, fut-ce avec des ministres.

 

Sa première composition "officielle" sera une "Pensée Religieuse" en 1894, dédiée à sa soeur Berthe, la cadette de la famille. Puis, en 1895, un "Adagio Pathétique" pour violon et orchestre et en 1896, une "Cantate à deux voix pour filles et garçons", intitulée "A la science". Ce titre n'a rien d'étonnant car il s'est toujours passionné pour les innovations techniques. Combien de fois n'a-t-il pas raconté le vol des frères Wright dont il vit les démonstrations au Champ de Mars ? Pour un Noël 1956 ou 57 son fils Paul-Louis ne put lui faire plus grand plaisir que de lui offrir une "Histoire des Sciences et des Techniques" de P. Rousseau.

En 1897, il quitte Liège pour Nancy où il est nommé premier violon au Théâtre et à l'Orchestre du conservatoire. Il suit les cours de composition de Guy Ropartz.

Mais Armand Marsick se produit aussi comme soliste, au Havre notamment où on lui prédit une belle carrière d'instrumentiste. Puis il arrive à Paris où il restera dix ans. La première soirée se passe chez son oncle Martin-Pierre : elle mérite d'être décrite.

 

 

 

Martin-Pierre MARSICK

ã archives Jacques MARSICK

Martin-Pierre est au faîte de sa gloire, on le considère comme l'un des plus grands violonistes et en tout cas comme le meilleur professeur de violon. Ce n'est pas rien ! Armand, dans une lettre à ses parents du 2 juin 1898, raconte par le menu cette visite : comment son oncle critique la manière dont est monté son violon (Sylvestre le répare dès le lendemain et le "monte à la Marsick, c'est-à-dire excessivement dur") Armand ne sait rien... mais ce "rien" ne devait pas être si mal car Martin-Pierre lui confiera de nombreuses leçons partculières et le recommandera du mieux qu'il put. Toujours ce soir là, Martin-Pierre entend les premières compositions d'Armand. "Oui, dit Martin-Pierre d'une voix grave, oui il y a un Marsick qui joue admirablement du violon mais il n'en faut pas deux ! Travaille la composition, tu as tout ce qu'il faut pour réussir ! ... ces paroles, ajoute Armand, jamais je ne les oublierai ! " Ce qui n'empêche pas Martin-Pierre de lui confier dans le même instant son AMATI qu'il n'avait jamais prêté à personne, le temps d'exécuter quelques morceaux ! Quelle scéance ! Les voilà en tout cas, définitivement liés ; Armand aura une immense reconnaissance pour son oncle et celui-ci débordera d'affection pour son neveu. En 1923, seuls des problèmes de santé graves retiennent Martin-Pierre d'aller travailler à la naissance du conservatoire de Bilbao avec son neveu.

Ainsi, grâce à son oncle, Armand entre de plein pied sur la scène musicale parisienne. Tout en suivant les cours de Lenepveu et de Vincent d'Indy au conservatoire, il devient immédiatement premier violon aux Concerts Colonne et premier violon à l'Opéra Comique, fonction rarement confiée à un étranger. C'est à ce pupitre qu'il crée "La Mer" sous la direction de Claude DEBUSSY lui-même.

Cette période est aussi la plus féconde et Armand compose alors ses plus belles pages : la sonate pour violon et piano, en 1900, "Stèle Funéraire " à la mémoire de son père (1902), "La Jane" première oeuvre lyrique, "Improvisation et Final" pour violoncelle et orchestre, une oeuvre passionnée, de nombreuses mélodies, "La Source" (1908), "Les Scènes de Montagne", achevées plus tard en Grèce...

 

 

Création de la sonate pour violon et piano d'Armand MARSICK par Valério Franchetti (Oliveira) au violon, et, Georges de Launay au piano (1902) ã archives Jacques MARSICK

 

SUITE